L’ABSTRAIT SELON SERGE MANSON

Imaginer que l’art abstrait dispense de maîtriser le dessin relève d’une accablante naïveté. Ceux qui, par ignorance, succombent à cette croyance comprennent très vite que la peinture exige d’autres critères qu’un simple étalage de couleurs chaotiquement déployées sur une surface vierge. Le choix de l’abstraction n’est pas un simple renoncement à représenter le réel selon des critères éprouvés, mais une volonté d’échapper aux normes de la figuration et aux limites qu’elle impose à l’imagination. On ne saurait peindre abstrait par défaut ou par manque de maîtrise technique. Pratiquant assidûment le dessin depuis de nombreuses années (il se consacre, depuis quinze ans, au nu d’après modèle vivant), Serge MANSON sait qu’une composition, qu’elle soit figurative ou non, ne saurait naître du seul hasard, même si ce dernier peut quelquefois avoir sa place dans le processus de création.
Ne considérant pas chaque tableau comme allant de soi et voué à être conservé, le peintre n’hésite pas à détruire ce qui ne peut le satisfaire. Déroutant de prime abord, son univers original nous plonge dans un espace multidimensionnel. S’il manifeste une certaine volonté de proposer des fonds accueillants et chauds, Serge Manson glisse dans son ouvrage deux ou trois niveaux de lecture ou d’obstacles singulièrement superposés (et symboliques). Ainsi surgissent, pour le spectateur, plusieurs seuils ou plans de travail intriqués. L’artiste vise à les mettre en place en évitant les surcharges, les gestes inconsidérés.


Il faut sans cesse veiller à établir un équilibre entre le vide et le plein, la forme (informe) et la lumière. Dans sa jeunesse, Serge Manson montra une passion qu’il n’a jamais reniée pour la science et la technologie. Il avait résolument choisi le camp de la modernité. Plus tard, professeur de dessin technique, il sut très largement tirer parti du trait, cet allié de la pensée structurante. Adepte par ailleurs de la photographie, tout ce qui touche à l’image allait naturellement l’intéresser. Au cours du processus de création, Serge Manson veille à laisser libres des espaces dans lesquels l’œil peut circuler. Dans mon approche, je tiens compte du nomadisme du monde moderne, souligne-t-il. Il y a toujours un inconnu, un étranger au fond de chacun de nous, s’empresse-t-il d’ajouter. L’une des préoccupations de l’art serait de lui donner la parole en permettant ainsi une confrontation avec la part familière de notre être (ou des autres). Notre vie étant faite de douleurs comme de pépites, nous y trouvons ainsi un fonds universel, une raison d’échanger et de communiquer avec nos semblables ; le vœu du peintre étant que chacun s’attarde sur son œuvre en s’interrogeant par ce biais sur le sens de l’existence. Travaillant à plat, il circule autour de la toile à partir desquelles l’inconnu prendra forme, faisant naître du vide un espace suspendu entre deux infinis.
Une quête métaphysique, en somme.

Luis PORQUET
Critique d'art - Lauréat de l'Académie Française